mardi 20 juin 2017

Renaissance / The Little Match Girl Passion / Undoing World / Sept mètres et demi au-dessus des montagnes

Sept mètres et demi au-dessus des montatnes
De l'Académie chorégraphique de l’ère Millepied, il faut retenir l'idée intéressante de faire passer de la scène de l’amphithéâtre Bastille à celle du Palais Garnier, les soirées Danseurs-chorégraphes connues sous la direction de Brigitte Lefèvre. Elle s'accompagne de modifications diverses, forcément une réduction d’effectif chez les chorégraphes mais à l’inverse un accroissement de moyens, du temps libéré pour les chorégraphes et un budget conséquent en moyens et en main d'œuvre pour scénographie, décors et costumes. Nicolas Paul excepté, les élus de cette unique mouture de l’Académie était à cette échelle de conception, des débutants.
Renaissance de Sébastien Bertaud, rend hommage à Benjamin Millepied dans le style mais laisse précisément, sceptique, par cette focalisation sur la forme, sur le futur de telles pièces. L’œuvre semble trop pensée sur le papier à en devenir presque un objet en lui-même. Musique célèbre de Mendelssohn, casting de solistes à la mode, costumes haute couture sponsorisés, tout cela reste un peu trop impersonnel. Au finish, si l’œuvre livre de la belle danse, elle est désincarnée.

Aurélien Houette
Bruno Bouché presque à l’inverse, semble prendre un malin plaisir à miser sur le fond. Undoing World, une œuvre profonde, peut-être trop riche dans le verbe (une chanson "à texte", Spinoza et Deleuze) et les effets scéniques (une longue introduction par le remarquable Isaac Lopez-Gomes ou une longue marche des Ombres avec des couvertures de survie), mais la difficulté de gérer le groupe "à la Pina" est bien maîtrisée, tant dans l’occupation de l’espace que dans les ensembles chorégraphiques. Un pianiste « improvisant » sur scène rend l’ensemble vivant. Il se dégage de cette pièce une poésie dont la présence lumineuse d’Aurélien Houette et celle glacée de Marion Barbeau ne sont pas étrangères.

Eleonora Abbagnato - Alessio Carbone
The Little Match Girl Passion de Simone Valastro plonge dans un autre univers mais tout aussi théâtral. Le chorégraphe offre un conte dont la narration n’est pas tout à fait linéaire mais où tout est maitrisé. Un guide, l’œuvre éponyme du compositeur David Lang qui mêle conte d’Andersen et passion du Christ, une scénographie passionnante, esthétique mais efficace où se manifeste moult références à des choses vues ici et là (Preljocaj, Ek, Teshigawara, etc) mais toujours en se les appropriant. Les chanteurs, remarquables, sur scène comme partie intégrante de l’œuvre servent de liaison aux différents tableaux. Petite fille aux allumettes donc, Eleonora Abbagnato guide avec charisme le fil de cette histoire parfois elliptique et rappelle à l’occasion, qu’elle immense interprète elle est dans une œuvre fantasmagorique pleine de suspens théâtral.

Eleonora Abbagnato
Avec évidence, l’œuvre magnifique de Nicolas Paul termine la soirée. Dans Sept mètres et demi au-dessus des montagnes, Nicolas Paul ne tergiverse pas avec l’air du temps, il livre une œuvre personnelle et noire, dépouillée mais grandiose. Les danseurs émanant des entrailles de Garnier traversent robotiquement la scène pour rejoindre les ténèbres sous une projection d’images d’eux-mêmes dans divers états conduisant à la submersion. Pendant ce temps sur scène, tour à tour, d’autres semblent lutter dans le désintérêt de ces passants sans âme. Déluge, comme le titre l’évoque, ou allégorie des temps modernes sur l'indifférence, comme toujours avec Nicolas Paul, l’interprétation laisse un grand champ de possibles. 

Stéphane Bullion
La vitesse d’exécution des figures, solitaires ou de groupe fait ressortir une écriture chorégraphique riche et précise alors même que cette rapidité d’exécution contraste avec la musique solennelle, à la fois mystique et spirituelle de Josquin Desprez. Nicolas Paul ouvre ici sa gestuelle personnelle à d’autres mouvements liés à l’imploration, toutes formes de représentation des refus et de luttes sont mobilisées.
Ce long continuum fascinant vers les ténèbres est mis en valeur par une troupe d’interprètes très engagés menée par Stéphane Bullion. Œuvre de groupe où chacun danse pleinement, Sept mètres et demi au-dessus des montagnes offre aussi une place de choix aux solistes comme Caroline Bance ou Josua Hoffalt.  Stéphane Bullion y déploie avec aise sa maîtrise du geste et de l’espace et livre un long solo poignant, acmé de cette œuvre bouleversante.

Stéphane Bullion