samedi 14 mai 2016

Le Parc, Teatro dell'Opera di Roma, 5-11 mai 2016


Le Parc
Musica - Wolfgang Amadeus Mozart
Creazione sonora - Goran Vejvoda
Coreografia  Angelín Pre|jocaj, ripresa da Laurent Hilaire e Noémie Perlov
Scene - Thierry Leproust
Costumi - Hervé Pierre
Luci - Jacques Chatelet
Allestimento del Teatro alla Scala di Milano
In memoria di Jacques Chatelet

Ballet créé pour le Ballet de l'Opéra de Paris le 9 avril 1994
Entrée au répertoire du Teatro dell'Opera di Roma, 5 mai 2016

La description synoptique du Parc se trouve à l'entrée du 6 mars 2009


Stéphane Bullion - Eleonora Abbagnato

Direttore - David Garforth
Pianoforte - Incoronata Russo
Con Eleonora Abbagnato e Stéphane Bullion étoile ospite
L’Orchestra, i Solisti e il Corpo di Ballo del Teatro dell’Opera



L’Etoile parisienne Eleonora Abbagnato également directrice artistique du ballet de l’Opéra de Rome a fait le choix pour sa première saison d’inscrire Le Parc d’Angelin Preljocaj au répertoire de sa compagnie et d’inviter son collègue de l’Opéra de Paris, Stéphane Bullion à partager la scène romaine avec elle. Difficile de rater l’occasion offerte par la ballerine sicilienne d’aller à la rencontre d’une de ces œuvres majeures qui a marqué l’histoire de l’Opéra de Paris pour qui elle a été créée en 1994. Après son acquisition par la Scala de Milan, le Deutscher Oper de Berlin ou le Mariinsky, sa diffusion internationale s’étend dorénavant avec le ballet de Rome.



Angelin Preljocaj a confié à Laurent Hilaire, créateur du rôle principal, le soin de transmettre son œuvre au corps de ballet romain. Même si ce dernier prend lui un peu de temps pour trouver les tempi et les placements parfaits, il s’approprie très bien les contours de l’œuvre, à l’image d’un quatuor de jardiniers d’une efficacité redoutable et au finish se glisse avec bonheur dans ce paysage dansé à la française. On retient souvent du Parc ses trois pas de deux qui emblématisent les états de l’amour d’un couple, mais les multiples interventions entre ces pics d’intensité créent une ambiance et construisent le propos, aidant à la lecture des conditions possibles de l’évolution sentimentale des protagonistes principaux. Les jardiniers, évoquent avec acuité un profil catharsistique d’états plus elliptiques qui entraîne clairement la transition. Le ballet de l’Opéra de Rome a abordé avec énergie et succès le challenge de s’approprier cette œuvre prenante.


Le ballet très esthétisant est bien construit autour d’une structure plutôt classique. La musique poétique et enlevée de Mozart est élégamment délivrée par l’orchestre de l’opéra de Rome dirigé par David Garforth et les parties ésotériques de Goran Vejvoda qui temporisent les ardeurs mozartiennes, se marient avec perfection. Angelin Preljocaj commente les notes de sa gestuelle singulière de manière assez synchronique, ici encore très ancrée dans un esprit classique où le corps libéré épouse les contours des lignes musicales dans des sinuosités charmeuses de la modernité.


A Rome, cette chorégraphie est admirablement habitée par Eleonora Abbagnato et Stéphane Bullion, deux danseurs qui connaissent bien l’oeuvre. Le Parc, ballet si peu narratif et si grandement conteur d’une histoire d’amour entre deux libertins, est clairement articulé par leur interprétation nuancée et sincère, qui exhale une suite d’émotions vécues par deux artistes au firmament de leur art.


Stéphane Bullion a beaucoup dansé ce ballet en 2013. Il en livrait une interprétation extrêmement poétique dans une série de représentations avec trois partenaires différentes, Laëtitia Pujol, Alice Renavand et Isabelle Ciaravola. Eleonora Abbagnato n’avait pas repris le rôle depuis 2005, mais les danseurs se connaissent bien et, sans avoir le même développement artistique dans l’expression de leur art, ils s’entendent toujours à merveille, parce qu’ils ont en commun une sincérité qui confère à l’harmonie. Ces deux danseurs favoris de Preljocaj à l’Opéra de Paris sont bien rompus aux subtilités de son langage, ce qui les met tous les deux d’emblée au service de l’histoire en développant avec richesse de multiples subtilités dans l’interprétation. On est d’ailleurs à peine surpris qu’avec si peu de répétitions ensemble, ils puissent restituer l’essence même de l’œuvre dès la Première avec cette perfection.


Si Eleonora Abbagnato aborde le rôle avec la détermination qu’on lui connaît, elle succombe très vite au charme de son partenaire et livre un personnage tourmenté dès le contact lors du premier pas de deux. Elle prend alors en charge l’émanation émotionnelle du duo. C’est elle dont on observe les réactions, au cœur de l’intrigue. Elle montre ici des brèches dans sa fière posture du premier tableau. Stéphane Bullion reste dans le jeu de séduction, mi- sérieux, mi- séducteur. Il est subtilement un rien cynique dans tout le premier acte, avec juste ce qu’il faut pour rester désirable. Dans la scène introductive, ses jeux de regards avec les demoiselles comme avec les messieurs avait laissé percer un joueur qui n’a pas l’intention de se laisser prendre. Encore au deuxième acte, il ne se prive pas de jouer de la séduction et d’apprécier sa demoiselle dans le jardin, tant est si bien qu’on se demande quelle sera son attitude lors de son retour sur scène pour le pas de deux.



Eleonora Abbagnato qui s’était montrée rêveuse dans la scène avec les dames s’est alors repris, et ne se laisse pas conter par le séducteur. C’est au cours de ce pas de deux passionnant que le nœud de l’intrigue se délie, un subtil équilibre des sentiments respectifs s’établit alors. Plus encore que celui très connu du troisième acte, c’est presque l’acmé du ballet, mais la fin du pas de deux est bouleversante parce qu’on en ignore les débouchés. Les deux libertins sont touchés, mais ils ne veulent toujours pas succomber. Personne ne cède à l’autre, même si le regard d’Eleonora en dit long, elle retrouve sa fierté du premier acte et met son partenaire en échec, Stéphane Bullion reste seul comme accablé par cet échec au centre de la scène.


Ces variations des sentiments permettent d’aborder le troisième acte de manière ressourcée. Le songe de la demoiselle dans la nuit accompagnée des jardiniers, reste très énigmatique. Il s’oppose à la détermination du damoiseau avec les garçons, d’une énergie qui le réinstitue en dominateur et peut-être encore dans le jeu.



La manière très précise dont Preljocaj a tissé ces pas de deux dans ce dialogue évocateur mais distant est admirablement contrôlée par une maîtrise parfaite de l’interprétation, un dosage très juste des émotions qui apparaît comme une écriture narrative en soi. Elle laisse planer avec intelligence le suspense jusqu’ la fin, même si le pas de deux du troisième acte consacre des jeux plus charnels et moins elliptiques.


Même si bien sûr, on connaît la fin de l’histoire, elle peut prendre différents aspects selon les interprètes. Stéphane Bullion qui avait succombé avec juste un soupçon d’émotion en 2013, restant finalement presque le libertin dominateur, livre à Rome ses sentiments à nu avec une Eleonora Abbagnato enflammée. Libérés et enfin égaux, ils confèrent une émotion ultime au pas de deux final, tout en restant dans une sincérité absolue qui en maintient l’intégrité. La chorégraphie est suffisamment parlante en elle-même pour que les deux artistes se laissent porter par les émotions et les transmettre directement au public.



Le ballet dans son ensemble a perpétué ces moments de suspension et de sérénité, un état autre, indéfinissable qui suscite le plaisir. Ces soirées romaines furent de ces moments-là, et l’on se dit tout simplement que ces représentations avec deux étoiles de l’Opéra de Paris qui viennent de se dérouler à Rome sont peut-être LE spectacle de la saison.

Incoronata Russo, David Garforth, Stéphane Bullion, Angelin Preljocaj, Eleonora Abbagnato