lundi 9 février 2015

Paul/Rigal/Millepied/Lock



AndréAuria

Difficile de savoir ce que Benjamin Millepied a pensé en abordant la réalisation de cette soirée concoctée par Brigitte Lefèvre mais il est navrant qu'il en ait rompu l'unité en ajoutant un pas de deux de son cru n'ayant rien à voir avec l'esprit de cet assemblage de pièces réfléchies de Nicolas Paul, Pierre Rigal et Edouard Lock. Il est possible de dire que Salut,  la création ludique de Pierre Rigal, n’a pas sa place à l’Opéra de Paris et qu’elle est ainsi incongrue dans l’antre du classicisme et de la virtuosité (il y a peu de danse au sens strict du terme), mais le chorégraphe nourrit l'esprit de la soirée et fait montre d’imagination et de dynamisme, comme un pendant à la cérébralité de Nicolas Paul et à l’électrisation d’Edouard Lock, tout ce qui manque à Together Alone, suite de pas convenus et sans inspiration.

Stéphane Bullion - Adrien Couvez
Letizia Galloni -Pauline Verdusen
Eléonore Guérineau - Julien Cozette
Dans Répliques, Nicolas Paul a choisi des œuvres difficiles mais fortes de Györgi Ligeti illustrant bien l’ambiance de sa conception introspective et sa danse expressionniste qui décortique les corps jusqu'à l'extrême comme Ligeti  les notes. La solide structuration des tableaux présente clairement des états d’esprit et des ambiances qui se déclinent au rythme des ensembles et des dialogues entre groupes et duos, comme à l’infini, soutenus par la magnifique mise en lumière de Madjid Hakimi. La scénographie de Paul Andreu distillant des voiles transparents instaure une progression vers le pas de deux final culminant dans l'angoisse au terme d’une quête. Il  fait presque écho à celui d’AndréAuria qui termine  la soirée dans un climax saisissant mais alors que celui de Nicolas Paul renvoie à l’introspectif, celui d’Edouard Lock conduit à l’exaltation.
  
Stéphane Bullion - Adrien Couvez
Créé par Stéphane Bullion et Isabelle Ciaravola en 2009, le duo principal de la Première formé de Vincent Chaillet/Ludmila Pagliero présente un profil  légèrement moins clivé que celui de Stéphane Bullion et Eve Grinsztajn. Ainsi dans cette distribution, c'est le rapport entre Stéphane Bullion et Adrien Couvez qui captive par son étrangeté physique et sa communion artistique dans la puissance et dans le geste « grand ». Les artistes en action mangent la scène de leur énergie aiguisée au couperet.
Valentine Colasante qui reprend le rôle créé par Muriel Zusperreguy  dégage une force qui aurait pu se joindre à cette distribution mais  Letizia Galloni y montre aussi une énergie agile et légère qui fait le lien avec les deux autres couples très homogènes formés de Daniel Stokes/Pauline Verdusen et Julien Cozette/Eléonore Guérineau.

Stéphane Bullion - Alice Renavand

Après l’intermède presque intempestif des deux autres pièces, en fin de soirée, Edouard Lock signe avec AndréAuria un chef d’œuvre.

Créé en 2002 par un groupe de danseurs dont Stéphane Bullion et Marie-Agnès Gillot, alors Sujet et Première danseuse, l’œuvre garde sa force originelle dans une distribution unique, menée par quatre Etoiles et deux Premières danseuses, accédant ainsi à la reconnaissance institutionnelle.
Le chorégraphe canadien a cependant légèrement remanié son opus pour confier à Stéphane Bullion la partie interprétée par Yann Bridard à la création en supplément de la sienne. Le danseur est donc presque constamment sur scène, alter ego d’Alice Renavand qui interprète cette année AndréAuria pour la première fois. Pour le reste, les duos, duos de duos, trios ou groupes genrés restent la trame de l’œuvre.

Stéphane Bullion - Alice Renavand

La chorégraphie qui travaille également comme Répliques sur la répétition étourdit par sa conception en scénettes courtes et virtuoses, où les danseurs exhalent vitesse et précision des bras et des jambes sur un dialogue de pianos présents en fond de scène. La musique de David Lang exploite différents registres d’ambiances, de la mélodie épurée à l’angoissante répétitivité des notes ou leur suspension.

 Alice Renavand - Stéphane Bullion - Valentine Colasante

Les danseurs se déplacent et évoluent en jouant avec les éclairages dans des cercles de lumière qui mettent en valeur, en clair obscur ou en pleine lumière, leur virtuosité ou leurs poses, les sauts exceptionnels comme les gestes du quotidien. Le rythme électrique des changements déstabilise et remet constamment en cause l’acquis, entraîne les danseurs comme le spectateur oppressé dans une fuite en avant, d’abord vers l’inconnu puis vers des émotions exacerbées. Alors que tout le ballet tend à montrer un détachement presque insolant envers cette virtuosité éblouissante, jusqu’à ne jamais entendre les danseurs respirer alors qu’ils sont dans une physicalité extrême, le pas de deux final laisse Stéphane Bullion et Alice Renavand révéler des émotions d’une violence inouïe à la limite de l’affrontement physique, qui répondent au rythme de leurs mouvements. Ceux-ci dans un nouveau rapport de force prennent tout leur sens dans un lyrisme magnifique et poignant qui ne s'achève que par un silence et un blackout dont la soudaineté est glaçante.

AndréAuria
Stéphane Bullion - Alice Renavand